He Jiankui, professeur d'université à Shenzhen, ville du sud-est de la Chine, a annoncé le mardi 27 novembre 2018 dans une vidéo postée sur Youtube, la naissance de deux jumelles dont la séquence d’ADN a été génétiquement modifiée.
L’éradication du VIH au coeur du projet : instant scientifique
C’est quelques jours plus tard, dans le cadre du deuxième sommet international sur l’édition génomique humaine à Hong Kong, que le scientifique chinois nous renseigne un peu plus sur son « exploit » qui a bouleversé une majorité de la communauté scientifique.
Le chercheur He Jiuankui était à la tête d’un projet qui avait pour objectif final de créer des humains résistants au VIH grâce à des modifications génomiques.
Pour mener à bien son étude, il dit avoir recruté 7 couples infertiles sur la base du volontariat. Tous étaient composés d’un homme infecté par le VIH et d’une femme séronégative.
La but de ces expériences était ainsi de modifier une séquence génétique déjà bien ciblée: le gène CCR5.
Explication sur la mutation du gène CCR5
L’organisme humain présente des résistances naturelles au VIH et l’une des stratégies adoptées par l’organisme la plus connue des scientifiques est la mutation génétique du gène CCR5. Cette mutation empêche le virus du SIDA d’infecter des cellules comme les lymphocytes et les monocytes (cellules du système immunitaire) dont a besoin le virus pour proliférer.
Pour généraliser, si un individu reçoit ce gène muté de chacun des deux parents, il est dit « homozygote » pour ce gène muté. Ainsi, toutes les cellules de l’organisme de l’individu, normalement attaquées par le VIH sont protégées. En revanche, si un individu présente un seul gène muté, transmis par le père ou la mère, il est dit « hétérozygote » pour ce gène muté. Par conséquent, seule une partie des cellules cibles du VIH porte le gène CCR5 muté et peuvent développer une résistance au virus. A l’inverse, les autres cellules qui ne présentent pas de mutations sont vulnérables au VIH. En somme, un individu hétérozygote du gène CCR5 muté a des chances d’être infecté par le virus du SIDA mais présentera une croissance ralentie de la maladie par rapport à une personne dépourvue de mutation du gène.
Mais attention cette mutation confère seulement une protection contre le VIH 1 de souche R5 et non contre tous les types de VIH.
Par ailleurs, très faible sont les personnes qui présentent une telle protection contre ce virus: seulement 3% de la population mondiale.
Comment s'y est-il pris?
Le Principe de fonctionnement du système CRISPR (Courtes Répétitions en Palindrome Regroupées et Régulièrement Espacées)
Les ciseaux génétiques CRISPR-Cas6 furent découverts en 2012, après trente années de recherches, par deux chercheuses : la Française Emmanuelle Charpentier, du Max Planck Institute for Infection biology (Allemagne), et l'Américaine Jennifer Doudna, de l'Université de Berkeley. Cet outil génétique créa une révolution dans le monde scientifique et fit naître de nombreux espoirs pour l'avenir des thérapies géniques.
La technique peut paraître simple : le système cible une zone précise de l’ADN, la coupe puis y insère la séquence que l’on a choisi. Mais si l’on veut aller plus loin, il faut savoir que le système CRISPR-Cas9 est un ensemble constitué de deux éléments :
• d’un brin d’ARN, de séquence homologue (similaire) à celle de l’ADN que l’on souhaite supprimer
• d’une enzyme, Le Cas9, qui catalyse la division d’acide nucléique (comme ARN ou ADN). Elle coupe l’acide nucléique en fragments plus courts au milieu de la chaine nucléique (on appelle cette enzyme une endonucléase)
Dans la cellule, le brin d’ARN va se fixer à la séquence homologue sur l’ADN. Par la suite, l’endonucléase Cas9 a pour rôle de couper la chaîne ADN complémentaire à ce brin ARN. En effet, Cas9 introduit une cassure destinée à inhiber le gène ciblé, à le supprimer ou à accueillir un fragment d'ADN exogène.
Le trou laissé par le passage du CRISPR-Cas9 pourra ainsi être combler par un nouveau fragment d’ADN.
Ainsi, le chercheur chinois décida d’utiliser cette technique, pas encore totalement précise et stable, pour aboutir à son projet.
En effet, les deux jumelles nommées "Lulu" et "Nana", sont nées après une fécondation in vitro (c’est-à dire en milieu artificiel, hors de la mère) à partir d'un embryon génétiquement modifié avant d'être implanté dans l'utérus de la mère.
Après avoir injecté le sperme du mari dans l'ovule, un embryologiste a également introduit une protéine Crispr-Cas9 chargée de modifier un gène. Hé jiankui aurait ainsi inhiber le gène CCR5 grâce à cette technique.
La communauté scientifique scindée en 2 :
Un progrès ou un frein à l’avancée scientifique?
Cette annonce a donné lieu à de nombreuses critiques de la part de la communauté scientifique, amenant notamment le gouvernement chinois à demander à Hé Jiankui de suspendre ses recherches.
Tout d’abord, le chercheur aurait travaillé dans le secret sans prévenir l’Université dans laquelle il travaillait et en ne déclarant pas ses recherches. Il n’aurait fait part de ses expériences cliniques au gouvernement chinois qu’au mois de novembre, aprèsque ses expérience ont été réalisées.
De plus, même si la loi concernant les expériences de modifications génomiques sur les embryons varie selon les pays, il reste interdit de modifier les génomes embryonnaire en vue d’une procréation médicalement assistée.
Hé Jiankui aurait donc franchi une « ligne rouge » que la communauté scientifique s’était promise de ne pas dépasser en manipulant le génome embryonnaire. Son action signe l’essor de l’eugénisme (ensemble de méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine, ndlr.), contraire à l’éthique internationale.
Pourquoi cela suscite une telle polémique ?
Tout d’abord, modifier le génome d’un embryon humain, c’est par définition modifier le génome de ses futures cellules sexuelles et donc transmettre la modification à sa descendance potentielle.
Ce problème est d’autant plus inquiétant que la technique Crispr-Cas9 n’est pas précise à 100%, et elle peut entraîner des modifications spontanées sur le gène ciblé, mais aussi sur d’autres gènes qui ne l’étaient pas. Ainsi, ces modifications pourraient infecter l’ensemble du patrimoine génétique et porter atteinte aux générations futures.
La communauté scientifique s’exprime
Ce sont principalement des biologistes et des médecins qui se sont exprimés en disant qu’il s’agit d’une expérience irresponsable qui porterait atteinte à la « réputation mondiale et au développement de la recherche biomédicale en Chine ».
Ils déclarent également que cette modification du patrimoine génétique humaine peut s’avérer être très dangereuse car « personne ne peut prédire l’impact de ces modifications génétiques incertaines ».
Le célèbre scientifique britannique, Robin Lovell-Badge, a également déclaré que cet essai était "un pas en arrière" d'un point de vue de la pratique scientifique. De même, La co-inventrice de la technique Crispr-Cas9, Jennifer Doudna se dit « horrifiée » de l’utilisation des ciseaux génétiques sur le génome embryonnaire.
Néanmoins, il faut admettre que cette technique permet d’ouvrir des perspectives dans le domaine des maladies héréditaires. En effet, il s’agit d’un mécanisme permettant l’apparition de mutations préférentiellement utiles qui pourraient apporter un avantage sélectif pour les générations futures. Cela pourrait en outre constituer une avancée considérable dans la guérison du SIDA.
De plus, l’application du système CRISPR-cas9 peut se faire dans de nombreux domaines et étend ainsi les possibilités de retouches génétiques à l’infini.
Ces possibilités inquiètent la communauté scientifique, qui a peur de perdre le contrôle de l’utilisation de cette technique.
Capucine Landais
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